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La stratégie comme levier de croissance des organisations philanthropiques

2019-06-06

Stratégie

Variant d’un petit groupe informel de bénévoles à une organisation structurée comportant une permanence et même des activités internationales, les organisations philanthropiques sans but lucratif (OSBL) abondent. Que ce soit pour soutenir la prévention du suicide, venir en aide aux victimes d’une catastrophe naturelle ou pour promouvoir l’art théâtral, les OSBL rivalisent de sympathies dans la quête de dons et d’attention médiatique. Pour se tailler une place dans cet univers concurrentiel, les OSBL pérennes s’appuient sur les fondations solides de stratégies porteuses.

Pour avoir de l’impact, les OSBL doivent se doter d’une stratégie. À l’instar des entreprises qu’elles sollicitent, elles doivent définir leur vision, préciser leur mission et les valeurs qui les inspirent. Nous analysons ci-après certaines tendances et axes de développement dans le secteur des OSBL philanthropiques.

Innover pour sortir du lot – Bien que certaines causes (par ex. : la santé et les enfants) soient plus populaires que d’autres (par ex. : les maladies orphelines), la concurrence entre OSBL est forte. Chaque jour, 210 Canadiens meurent du cancer[1]. Saviez-vous que le Canada compte environ 1 498 organismes de bienfaisance dont le mot cancer figure dans leur description générale de services?[2] Et que parmi ceux-ci, environ 278 travaillent spécifiquement pour le cancer?[3] Dans cet océan de bonnes intentions, les OSBL doivent innover pour assurer leur survie. À cet effet, on se souviendra de la campagne virale du seau d’eau glacée ou Ice Bucket Challenge qui a connu une forte popularité à l’été 2014[4]. Dans le cadre de cette campagne, les gens se faisaient filmer en train de se verser un seau d’eau glacée sur la tête et lançaient le défi à d’autres amis le tout, en échange d’un appui financier en soutien à la lutte à la sclérose latérale amyotrophique (SLA), cette maladie neurodégénérative terminale aussi connue sous le nom de maladie de Lou Gehrig. En plus d’être un succès financier (17 millions de dollars) pour l’Association canadienne de la SLA, cette campagne qui été un véritable raz de marée dans les médias sociaux aura permis de faire connaître au grand public cette maladie qui, jusqu’alors était méconnue[5].

Des entreprises favorisent le mécénat qui génère un retour direct dans le tiroir-caisse

Les entreprises et le ROI social – Le mécénat d’entreprise s’écarte de modes traditionnels. Très sollicitées, les entreprises s’associent de plus en plus à des causes qui incarnent leurs valeurs et qui s’harmonisent avec leur mission. Leur contribution devient plus stratégique. Elles attendent de cet investissement un retour qui se caractérise notamment par le taux de mobilisation des employés à la cause, l’embellissement de leur image corporative et une visibilité accrue. Par exemple, pour chaque heure de bénévolat de ses employés, la Banque Nationale du Canada (BNC) verse 1$ à une organisation jeunesse[6]. Grâce à cette initiative, la BNC a versé depuis cinq ans plus de 12 millions de dollars pour des causes liées à la jeunesse. En France, la Société nationale de chemins de fer français, la SNCF, mise sur le mécénat de compétences et d’engagement en offrant gratuitement les compétences de ses salariés, qui offrent leur temps de travail pouvant s’échelonner jusqu’à 10 jours de travail par an[7].

TOMS Shoes se démarque avec son son approche novatrice « one for one » : pour chaque paire de chaussures vendues, une autre paire est remise à un enfant défavorisé

On assiste à l’émergence d’un modèle de mécénat hybride où la frontière entre les activités caritatives et lucratives devient floue et parfois controversée… En effet, des entreprises favorisent les partenariats qui génèrent un retour direct dans le tiroir-caisse. Le succès du Ruban rose est une illustration où des produits sont associés au cancer du sein et où le don motive l’intention d’achat – 5% des sommes seraient versées à la cause[8]. Cette commercialisation des dons a d’ailleurs été dénoncé dans un documentaire de Léa Pool[9]. Pour sa part, TOMS Shoes se démarque avec son son approche novatrice « One for One » selon laquelle pour chaque paire de chaussures ou de lunettes vendues, une autre paire est remise à un enfant dans le besoin. Depuis 10 ans, plus de 60 millions de chaussures ont été données dans plus de 70 pays. Par cette démarche, TOM Shoes s’est méritée l’attention médiatique et s’est rapidement imposée comme une marque socialement responsable[10].

Des milliardaires se solidarisent pour signer un contrat social «giving pledge» et donner plus de 50% de leur fortune à des oeuvres caritatives

En outre, des gens d’affaires philanthropes se solidarisent pour donner au suivant. En effet, le richissime Warren Buffet a créé en 2010 un contrat social désigné «Giving Pledge»[11] dans lequel des milliardaires (138 au total, incluant notamment: Elon Musk, Bill Gates, Richard Branson, Sheryl Sandberg) s’engagent publiquement à donner plus de 50% de leur fortune à des œuvres caritatives de leur choix[12]. (Référence: http://www.frenchweb.fr/the-giving-pledge-138-milliardaires-sengagent-a-changer-le-monde/216345#WHGlYlE6WDjKTs8o.99 ). Récemment, le fondateur de Facebook s’est engagé à léguer 99 % des actions qu’il détient dans l’entreprise à une nouvelle fondation caritative: la Chan Zuckerberg Initiative: http://www.frenchweb.fr/the-giving-pledge-138-milliardaires-sengagent-a-changer-le-monde/216345#WHGlYlE6WDjKTs8o.99

On assiste à l’émergence d’un modèle hybride de donation où la frontière entre les activités caritatives et lucratives devient floue et controversée…

Les gouvernements se désengagent – L’État peut favoriser la philanthropie par les mécanismes fiscaux qui encouragent les dons. Il peut également contribuer directement. Néanmoins, la source de financement du secteur public se tarit avec les compressions budgétaires massives. Plusieurs OSBL cherchent désormais à s’affranchir du financement public assujetti aux aléas et à l’imprévisibilité des priorités politiques et qui les avilit à un état de précarité et de dépendance. Se faisant, elles se tournent de plus en plus vers des fondations privées et des individus qui sont en mesure de les soutenir.

Les citoyens préconisent les dons dans l’action – Aujourd’hui, les donateurs souhaitent avoir un impact et vivre des expériences enrichissantes. Ils aiment également qu’on leur raconte une histoire (¨storytelling¨). De surcroît, une histoire dont ils sont les héros. Dans cette veine, les défis sportifs pour recueillir des fonds continuent de croître en popularité et en variété. Au Québec, on n’a qu’à penser au Grand défi Pierre Lavoie [13], à la randonnée kayak sur le Saint-Laurent entre Montréal et Québec de Jeunes musiciens du monde [14] ou les défis d’Aventure SP [15] organisés en soutien à la Société canadienne de la sclérose en plaques. En France, on pense aux divers marathons au soutien de L’Arche ou le Trailwalker d’Oxfam [16]. Les médias sociaux permettent d’enrichir le récit avec des images, des vidéos, des jeux et d’interagir avec les donateurs. Les succès viraux de Charity : Water[17] et de Movember[18] en sont des illustrations éloquentes. La campagne de la Fondation Movember qui vise à amasser des fonds pour lutter contre cancer de la prostate est reconnue pour sa stratégie philanthropique innovante, exhortant les hommes à prendre action pour leur santé durant le mois de novembre en se laissant pousser la moustache[19]. La Fondation Movember a même développé une application offrant aux donateurs la possibilité de jouer ¨ RUN MO RUN!¨ pour divertir donateurs : https://ca.movember.com/fr/get-involved/game.

Les modes de financement changent avec la hausse de l’e-générosité

Les modes de financement changent également avec la hausse de l’e-générosité notamment chez jeunes de moins de 35 ans qui donnent de plus en plus en ligne[20]. Une étude française dévoile que 61% des moins de 35 ans utilisent les réseaux sociaux pour faire des recommandations de dons auprès de leurs proches, soit une augmentation de 39% entre 2010 et 2016[21]. De nombreuses organisations choisissent d’utiliser plusieurs outils de sollicitation qu’ils adaptent aux préférences de la génération qu’ils sollicitent. Ainsi, si certains préfèrent donner en ligne, d’autres préfèrent être sollicités via les moyens traditionnels. Le succès du Téléthon de la Fondation Opération Enfants Soleil est concluant sur ce point – une somme record de 18 620 721$ a été amassée pour acquérir des équipements servant à des soins pédiatriques: http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/sante/201606/05/01-4988765-record-de-18-millions-amasses-au-telethon-operation-enfant-soleil.php

La vive concurrence entre les OSBL a également entraîné l’apparition des professionnels de la sollicitation dont le travail consiste à solliciter vos contributions, en échange d’un pourcentage des dons récoltés. Bien que controversée, cette pratique n’en demeure pas moins bien présente dans le monde de la philanthropie.

Les citoyens privilégient les dons dans l’action : les succès viraux de Charity:Water et de Movember en sont des illustrations éloquentes

Stimuler la croissance – La croissance passe notamment par le développement local, national ou international ainsi que par la diversification des activités. Lancée en Australie en 2003, la Fondation Movember visait uniquement la lutte contre le cancer de la prostate. Treize ans plus tard, elle œuvre dans plus de 21 pays et s’intéresse maintenant à la santé masculine incluant la lutte contre le cancer de la prostate, le cancer testiculaire, la santé mentale et l’inactivité physique[22].

Plusieurs OSBL sont confrontées à un sous-financement chronique qui les pousse à se réinventer pour survivre. Dans le foisonnement des causes, les donateurs ont l’embarras du choix et une capacité financière limitée. Ils considèrent leur don comme un investissement et exigent une gestion responsable, imputable, performante et transparente. Les OSBL doivent se doter de stratégies pour naviguer dans cet environnement aux eaux troubles.

 

[1] Plan stratégique de la Société canadienne du cancer : http://www.cancer.ca/~/media/cancer.ca/CW/about%20us/nationwide%20strategic%20plan/CCS%20Nationwide%20Strategic%20Plan%20FR.pdf?la=fr-CA

[2] Cancer in Canada, Framing the Crisis and Previewing the Opportunity for Donors, Charity Intelligence Canada, 2011 : https://www.charityintelligence.ca/images/Ci_Cancer_Report_April_2011.pdf ;

[3] Cancer in Canada, Framing the Crisis and Previewing the Opportunity for Donors, Charity Intelligence Canada, 2011 : https://www.charityintelligence.ca/images/Ci_Cancer_Report_April_2011.pdf;

[4] Ice Bucket challenge: un défi… à l’industrie de la philanthropie, La Presse, 2014 : http://www.lapresse.ca/vivre/societe/201408/28/01-4795468-ice-bucket-challenge-un-defi-a-lindustrie-de-la-philanthropie.php

[5] Site Internet de l’Association canadienne SLA : https://www.als.ca/fr/node/934

[6] Site de la Banque Nationale du Canada : http://www.jeunesse.banquenationale.ca/piliers/nos-initiatives-jeunesse/club-des-petits-dejeuners

[7] Site de la Fondation SNCF : https://www.fondation-sncf.org/fr/mecenat-de-competence-sncf/

[8] L’industrie du ruban rose: un documentaire percutant et courageux, La Presse, Février 2012 : http://www.lapresse.ca/cinema/201207/23/49-2798-l-industrie-du-ruban-rose.php

[9] Documentaire de Léa Pool sur l’industrie du Ruban rose: http://www.nfb.ca/film/industrie_du_ruban_rose/trailer/industrie_ruban_rose_bande_annonce/

[10] Site de Tom Shoes, One for One : http://www.toms.fr/ ; Founder of the one-for-one shoe company Toms looks back on 10 years, 60 million pairs of donated shoes, National Post, May 2016 : http://news.nationalpost.com/life/style/founder-of-the-one-for-one-shoe-company-toms-looks-back-on-10-years-60-million-pairs-of-donated-shoes ;

[11] Site de Giving Pledge : http://givingpledge.org/faq.aspx#faq3

[12] Site de Giving Pledge : http://givingpledge.org/faq.aspx#faq3

[13] Site du Grand défi Pierre Lavoie : https://www.legdpl.com

[14] Défi kayak Jeunes musiciens du monde : http://jeunesmusiciensdumonde.org/defi-kayak/

[15] Site des défis d’aventure SP : https://defisdaventuresp.wordpress.com

[16] Site Trailwalker d’Oxfam : http://www.oxfamtrailwalker.fr

[17] http://dragonflyeffect.com/blog/dragonfly-in-action/case-studies/charitywater/

[18] Site de la Fondation Movember : https://ca.movember.com/

[19] Site de la Fondation Movember : https://ca.movember.com/

[20] Des donateurs de plus en plus connectés, Le Figaro, 25 mai 2016, http://www.boursorama.com/actualites/des-donateurs-de-plus-en-plus-connectes-374f10e0a55b9152176ce1cb99423b06

[21] Des donateurs de plus en plus connectés, Le Figaro, 25 mai 2016, http://www.boursorama.com/actualites/des-donateurs-de-plus-en-plus-connectes-374f10e0a55b9152176ce1cb99423b06

[22] Site de la Fondation Movember : https://ca.movember.com/