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Sophie-Emmanuelle Chebin

Confidences d’un administrateur masqué : le jour où je suis devenu président dans le chaos!

2017-09-12

Gouvernance

Périodiquement, Arsenal Conseils donne la parole à des administratrices et des administrateurs qui nous racontent, sous le couvert de l’anonymat, des moments marquants de leur parcours d’administrateur. Ces anecdotes offrent une perspective unique sur la réalité des salles de conseils.

Aujourd’hui : le jour où… je suis devenu président de conseil dans le chaos!

J’étais assis dans mon bureau abasourdi. J’avais l’impression de jouer dans un mauvais film. Au terme d’une rencontre du conseil d’administration à laquelle j’avais dû participer par téléphone, j’étais devenu président du conseil d’une organisation reconnue. J’héritais d’une charge dont je ne voulais pas vraiment, d’un conseil profondément divisé sur la façon dont s’était déroulée l’élection, de démissions d’administrateurs et d’une crise de confiance entre la direction et le CA. Bienvenue dans le chaos!

J’étais surpris de voir qu’en une seule séance de conseil, nous avions basculé d’un conseil sans histoire à un conseil en plein drame shakespearien.

Un conseil sans histoire

Le conseil d’administration avait toujours travaillé de façon consensuelle sous la gouverne d’un président de conseil rassembleur et mobilisateur. C’est avec beaucoup de regrets que celui-ci avait dû démissionner quelques mois plus tôt pour des raisons personnelles. La vice-présidente avait alors été nommée présidente suppléante.

À l’approche de l’assemblée générale annuelle, il fallait penser sélectionner une nouvelle personne à la tête du conseil. Aucun administrateur n’avait témoigné publiquement son intérêt pour cette charge.

À 72 heures de l’élection, nous n’avions pas encore de candidats au poste de président du conseil. Personne n’avait pris la responsabilité du processus d’élection des officiers. Personne n’avait sondé les administrateurs quant à leur désir d’occuper ce poste. Tout le monde espérait que la solution se présente d’elle-même.

L’appel du devoir

C’est dans ce contexte que j’ai reçu l’appel de la directrice générale me demandant de considérer sérieusement le poste de président du conseil. Je connaissais l’organisation, je m’entendais bien avec la direction générale et, depuis que j’étais à la retraite, j’avais du temps à consacrer à cette charge. Elle pensait que nous ferions un bon duo et souhaitait travailler avec moi. J’ai demandé quelques jours de réflexion.

Prendre ou ne pas prendre la présidence du conseil, telle était la question. Entre les deux, ma tête et mon cœur oscillaient.

À la fin de ma période de réflexion, je penchais pour accepter la proposition. Nous ne pouvions avoir un conseil sans présidence. L’organisation amorçait une année charnière. Au programme : l’ajout de nouveaux services, une alliance avec une organisation pancanadienne et le déménagement du siège social. Si j’acceptais, c’était plus par devoir que par conviction.

Au moment où je communiquais mon intention à la directrice générale, un courriel salvateur faisait irruption dans ma boîte de réception. Un administrateur souhaitait la charge de président du conseil. Je poussais un soupir de soulagement.

Or, la directrice m’informa que cet administrateur avait suivi un processus de réflexion similaire au mien. Si quelqu’un voulait la charge, cet administrateur se désisterait volontiers au profit de l’autre personne.

Seule façon d’avoir le cœur net : appeler cet administrateur pour en discuter avec lui. Au téléphone, aucun doute, la personne désirait ardemment le poste. Membre du conseil d’administration depuis plusieurs années, il possédait une vision à long terme pour l’organisation. Une fois son désir énoncé, il me proposa d’être son vice-président. Lors de cette conversation, je ne lui ai pas fait part du fait que j’avais considéré le poste. À quoi bon; son offre me convenait.

J’ai rappelé la directrice générale pour lui fait part de cette conversation. Elle me dit alors qu’elle avait également parlé à cet administrateur au cours de la journée. Celui-ci, apprenant que j’avais de l’intérêt pour la présidence, avait offert à la directrice générale de se désister en ma faveur.

Cette dernière conversation téléphonique ayant lieu à peine quelques instants avant la rencontre du conseil d’administration où devait avoir lieu l’élection, je n’eus pas le temps de valider cette information auprès du principal intéressé.

Tous les ingrédients étaient réunis pour une rencontre chaotique!

Chronique d’une catastrophe annoncée

À l’ordre du jour, nous en étions à l’élection du président du conseil. D’entrée de jeu, j’ai mentionné qu’à la demande de la directrice générale, j’étais prêt à assumer la présidence. L’autre administrateur, d’une voix surprise, annonça qu’il briguait également la présidence.

Puis, coup de théâtre! Interloquée, une tierce administratrice déclara ne rien comprendre. À plusieurs reprises au cours des dernières semaines, elle avait fait part à la directrice générale de son intérêt pour cette charge. Celle-ci l’avait assurée que personne ne la convoitait.

D’aucun volontaire, nous étions maintenant trois à vouloir la présidence!

Le vaudeville qui s’ensuivit fut épique. La mauvaise qualité de la communication téléphonique m’empêchait d’en saisir toutes les subtilités. Je retirai ma candidature. Les discussions se poursuivaient. Pour dénouer l’impasse, un administrateur demanda le vote secret. Mais comment procéder à un vote secret alors que deux administrateurs assistent à la rencontre par conférence téléphonique? On cherchait en vain les règlements et la procédure à suivre.

… le ton montait, les esprits s’échauffaient et des clans se formaient

Le ton montait, les esprits s’échauffaient et des clans se formaient. Percevant ne pas être le choix de la directrice générale, l’autre administrateur démissionna sur-le-champ. Un autre administrateur claqua la porte, excédé par le comportement du conseil. Dans la confusion générale, j’ai été désigné président.

Assis seul dans mon bureau, je maudissais cette cheville que je m’étais cassée la veille et qui m’empêchait de me déplacer pour cette importante rencontre du CA. Si j’avais été sur place, rien de ceci ne serait arrivé. J’aurais échangé avec l’autre administrateur qui m’aurait témoigné de son désir profond d’être président, et je n’aurais pas soumis ma candidature pour la présidence. Il aurait assumé celle-ci avec brio, avec comme vice-présidente, cette autre administratrice intéressée.

Une présidence au goût amer

Au lieu de cela, je suis devenu président d’un CA amputé de deux de ses administrateurs les plus dévoués. Ceux qui restaient étaient divisés. Je faisais également le constat perturbant que la directrice générale avait influencé l’issue du scrutin.

Pendant les semaines qui ont suivi, je n’ai pu repenser à cette rencontre sans éprouver un profond malaise. Jamais je n’ai souhaité devenir président dans de pareilles circonstances. À ce jour, je n’ai toujours pas eu le courage de reparler à l’autre administrateur intéressé par le poste. Cette élection demeure un moment douloureux de ma carrière d’administrateur.

La perspective d’Arsenal conseils

De l’importance de la relève au sein des CA

Préparer la relève est une responsabilité primordiale pour tout conseil d’administration. Dès l’élection des officiers, un CA avisé devrait commencer à réfléchir à ceux qui, au sein du conseil, pourraient éventuellement prendre la relève et assumer ces fonctions. Si aucun administrateur actuel n’est intéressé ou qualifié pour le faire, il est essentiel de recruter rapidement des administrateurs avec les profils recherchés.

La procédure entourant la sélection aux postes d’officiers

Lorsque des postes sont vacants au sein d’un CA, le secrétaire du conseil – ou une personne neutre si le secrétaire brigue une charge d’officier – devrait être désigné pour sonder les administrateurs quant à leur intérêt pour de pareils postes. De plus, en amont de l’élection, il est toujours sage de revoir les procédures d’élection. Ainsi, si une circonstance particulière survient, le CA est prêt à y faire face adéquatement. Si les règlements sont muets à cet égard, il est sage d’adopter une politique entourant les procédures d’élection.

Assister aux rencontres à distance

Nous ne saurions assez mettre l’emphase sur l’importance, dans la mesure du possible, d’assister en personne aux rencontres du conseil d’administration. Nous en avons encore ici un exemple. À distance, il est facile de perdre le fil de la conversation, et pour ceux présents, d’oublier ceux au bout du fil. De plus, il est difficile de s’assurer de la confidentialité des échanges lorsque tous ne sont pas réunis au même endroit.

 

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