Photo par Cirilopoeta sur Canva

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Sophie-Emmanuelle Chebin

Distinguer les signaux du bruit : Charles Brindamour ouvre la saison de l’IAS-Québec

2025-09-30

Gouvernance

Le 24 septembre dernier, l’IAS-Québec lançait sa saison 2025-2026 lors d’une soirée d’ouverture qui a réuni des membres de conseils et des personnes dirigeantes autour d’un invité de marque : Charles Brindamour, chef de la direction d’Intact Corporation Financière. En conversation avec Maud Cohen, directrice générale de Polytechnique Montréal, il a livré une réflexion dense et lucide sur les grandes tendances qui façonnent le monde et sur le rôle des conseils d’administration pour y répondre.

Son message principal était simple, mais puissant : dans un monde saturé d’information, il faut distinguer les signaux du bruit. Suivre le bruit condamne à la médiocrité, voire à la disparition. Pour gouverner dans la complexité, les conseils d’administration doivent se concentrer sur les tendances de fond et s’assurer que leur organisation se prépare pour l’avenir.

La stratégie à long terme : au-delà du bruit

Pour le chef de direction d’Intact, la stratégie se vit à long terme. Elle ne doit pas céder aux turbulences quotidiennes, mais se bâtir sur deux filtres essentiels :

  1. L’impact sur les clients; et
  2. L’impact sur les avantages concurrentiels.

Ces filtres ramènent de la clarté dans un univers saturé de signaux contradictoires. Ils rappellent aux conseils que leur rôle n’est pas de courir après chaque urgence, mais de garder l’équipe de direction concentrée sur l’essentiel. Le succès, souligne-t-il, repose sur une vision claire et une capacité à naviguer les intempéries, à jouer défensif au besoin, tout en construisant des avantages concurrentiels de classe mondiale.

C’est à partir de cette perspective qu’il a présenté trois tendances profondes qui redéfinissent la gouvernance et doivent s’imposer à l’agenda de tout conseil d’administration.

Trois tendances qui redéfinissent actuellement la gouvernance :

1. Le contexte géopolitique

Les tarifs commerciaux sont devenus une réalité durable. Ils reflètent le défi fiscal américain et la volonté de protéger l’emploi. Selon M. Brindamour, peu importe le parti au pouvoir, cette dynamique perdurera au cours de la prochaine décennie.

Plus inquiétant encore, les États-Unis — longtemps force stabilisatrice mondiale — sont devenus la principale source d’instabilité. Leur repli sur soi, accentué par des divisions internes, crée une perte d’expertise qui affecte la gestion de crise, le coût du capital et même l’état de droit. La centralisation du pouvoir et les tensions avec la Chine ajoutent à ce tableau. Pour le chef de direction, cette situation marquera la prochaine décennie et forcera de nombreuses organisations à réorienter leurs chaînes d’approvisionnement.

2. La cadence technologique

La technologie est multi-couches et ses effets se font ressentir à plusieurs niveaux : impact sur la clientèle, démocratisation des données, puissance de l’apprentissage machine, et montée en flèche des enjeux de cybersécurité. Près de 60 % des entreprises ont été touchées par un incident au cours de la dernière année.

…le véritable défi est de viser des standards mondiaux.

Devant ces avancées, le rôle du conseil est clair : s’assurer que la technologie et les investissements qui en découlent ne sont pas saupoudrés, mais intégrés au cœur de la stratégie. Les investissements doivent répondre aux besoins des clients et soutenir les ambitions à long terme. Trop souvent, dit-il, les organisations se comparent à leurs compétiteurs locaux alors que le véritable défi est de viser des standards mondiaux.

3. Les changements climatiques

Intact, longtemps centrée sur les risques liés au feu, a dû constater que la moitié des sinistres provenaient désormais de l’eau. Les catastrophes naturelles sont aujourd’hui quatre fois plus fréquentes qu’il y a trente ans. Leur coût continuera d’augmenter. La résilience devient une condition de prospérité.

Pour autant, M. Brindamour demeure optimiste. Les énergies renouvelables sont désormais moins chères que les énergies fossiles. Les investissements dans ce secteur doublent ceux dans les énergies traditionnelles. La Chine mène la course, ce qui pousse les autres pays à l’excellence. La transition est inévitable, même si le rythme demeure un défi.

Ces trois tendances appellent les conseils à revoir leur posture et leur façon d’exercer la gouvernance.

La gouvernance comme levier de performance mondiale

Trop souvent, les conseils d’administration jouent sur le contrôle et la défensive. Or, dans un contexte incertain, ils doivent devenir des lieux de débats dynamiques et rigoureux.

Chez Intact, plus de 70 % du temps du conseil est consacré à la stratégie. Chaque année, le conseil se penche au printemps sur les grandes tendances mondiales, en été sur leurs implications à moyen terme pour l’entreprise, puis en octobre sur les budgets et le plan d’action court terme.

Cette discipline permet de passer des tendances à la stratégie, de la stratégie aux priorités, et des priorités au budget. Elle illustre une gouvernance proactive, où le conseil ne se contente pas de valider des chiffres, mais accompagne l’organisation dans la construction de son avenir.

Et si cette gouvernance proactive exige rigueur et méthode, elle repose aussi sur des fondements plus profonds : les valeurs et la vision.

Valeurs et vision : le véritable plan de match

Le message le plus marquant de Charles Brindamour reste sans doute cette phrase : « Si une organisation veut gagner à long terme, ses valeurs sont plus importantes que ses résultats. »

Si une organisation veut gagner à long terme, ses valeurs sont plus importantes que ses résultats.

Dans un environnement où les pressions financières sont fortes, cette affirmation recentre le rôle de la gouvernance. Le conseil doit s’assurer que les valeurs et la mission ne soient pas reléguées au second plan. Le succès durable repose sur une vision claire, sur des équipes mobilisées et sur une direction tenue de garder le cap, malgré le bruit de fond.

En ce sens, la gouvernance ne se résume pas à des cadres et à des protocoles : elle incarne une philosophie qui allie performance et responsabilité.

De la diversification à la croissance nette

En conclusion, Charles Brindamour a proposé de cesser de parler de diversification des exportations et de se concentrer plutôt sur la croissance nette. Une invitation à penser en termes d’ambition et d’expansion plutôt qu’en gestion défensive.

Cette soirée de l’IAS-Québec a rappelé que la gouvernance moderne n’est pas un exercice de conformité, mais un espace stratégique. Distinguer les signaux du bruit, débattre des grandes tendances, ramener la stratégie aux valeurs : voilà le véritable rôle des conseils d’administration.