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Sophie-Emmanuelle Chebin

Quand l’assurabilité devient un enjeu stratégique pour les CA

2025-10-08

Actualité

Pendant longtemps, le renouvellement des assurances faisait partie de ces points d’ordre du jour qui ne soulèvent pas les passions dans une réunion de conseil. On approuve, on signe, on passe au point suivant. Mais les temps changent : la question n’est plus de savoir combien coûte votre assurance, mais si votre organisation peut encore s’assurer — et à quelles conditions.

En 2024, les catastrophes naturelles ont coûté 8,55 milliards de dollars aux assureurs canadiens. Du jamais vu. Feux de forêt, inondations, grêle : les sinistres s’enchaînent, et les factures explosent. Les réassureurs — ceux qui assurent les assureurs — augmentent à leur tour leurs tarifs, déclenchant un effet domino jusqu’au consommateur. Et voilà que certains secteurs, certaines régions, deviennent peu à peu… inassurables.

L’assurance n’est plus un simple filet de sécurité. Elle est en train de devenir un test de crédibilité organisationnelle.

Une équation qui ne tient plus tout à fait

Dans sa forme la plus simple, l’assurabilité désigne la capacité d’un risque à être pris en charge. Pour qu’un assureur accepte de vous couvrir, trois conditions doivent être réunies :

  1. La perte potentielle ne doit pas compromettre sa solvabilité.
  2. Le coût moyen du sinistre doit pouvoir être mesuré.
  3. Les sinistres doivent être relativement indépendants les uns des autres.

Or, avec le dérèglement climatique, ces trois piliers vacillent. Les sinistres se produisent plus souvent, dans des zones jusque-là épargnées. Ils deviennent corrélés, imprévisibles, et parfois impossibles à mutualiser. Les assureurs ne fuient pas les clients : ils fuient les modèles qui ne fonctionnent plus.

Le résultat ? Des primes qui montent en flèche, des exclusions qui se multiplient, et des organisations — parfois rentables et solides — qui se retrouvent sans couverture pour un pan entier de leurs activités.

L’assureur, nouveau copilote du risque

Cette nouvelle réalité pousse les assureurs à revoir leur métier. Ils ne se contentent plus d’indemniser ; ils scrutent, modélisent, anticipent. Données satellitaires, science climatique, intelligence artificielle : leurs modèles de tarification deviennent aussi sophistiqués que ceux des marchés financiers.

Ils évaluent désormais la crédibilité de votre résilience : vos plans de continuité, la robustesse de vos infrastructures, la fiabilité de vos chaînes d’approvisionnement, la qualité de vos données climatiques. Autrement dit, ils évaluent votre gouvernance.

L’inaction devient un facteur de risque. Et bientôt, un facteur d’exclusion.

Les organisations qui s’engagent dans la prévention — adaptation des bâtiments, réduction de l’exposition, diversification des sources d’approvisionnement — sont mieux couvertes. Celles qui ne le font pas paient plus cher… quand elles trouvent preneur.

L’inaction devient un facteur de risque. Et bientôt, un facteur d’exclusion.

Ce que cela change pour les conseils d’administration

Dans bien des CA, la question de l’assurance se résume à une ligne budgétaire. Pourtant, elle est devenue un indicateur avancé de la santé stratégique d’une organisation.

L’assurabilité touche désormais des décisions clés :

  • Où implanter un nouveau site ?
  • Comment protéger ses données ?
  • Quel degré de redondance bâtir dans sa chaîne logistique ?
  • Quelles divulgations ESG publier pour conserver la confiance des marchés ?

Les administrateurs doivent comprendre que chaque choix d’investissement, chaque arbitrage opérationnel, influence directement la capacité de l’entreprise à rester assurable — et donc à poursuivre ses activités.

Un mouvement à initier dès maintenant

Il est temps de faire passer l’assurabilité du rang de simple formalité à celui de thème récurrent de gouvernance.
Comment ? En ajoutant un point permanent au calendrier annuel des travaux du conseil d’administration: Assurabilité et résilience organisationnelle.

Et, une fois par an, en invitant votre assureur principal ou votre réassureur à venir dialoguer avec le conseil. Non pas pour discuter des taux, mais pour :

  • Comprendre les tendances de fond
  • Tester les hypothèses de risque
  • Co-concevoir des critères de résilience atteignables

Posez la question inconfortable :

« Quelles parties de notre organisation pourraient devenir inassurables d’ici cinq ans ? Et que cela signifierait-il pour notre valeur ? »  Les réponses vous diront beaucoup sur votre exposition réelle — et sur la maturité de votre gouvernance.

La prévention, nouvel avantage concurrentiel

Au-delà du transfert de risque, la vraie question est celle de la prévention. Les organisations qui investissent dans la résilience — infrastructures adaptées, formation, plans d’urgence, technologies de détection — bâtissent un avantage concurrentiel : elles inspirent confiance, accèdent à de meilleures conditions d’assurance et, souvent, à un meilleur coût du capital.

Inversement, celles qui choisissent de “reconstruire à l’identique” après un sinistre répètent les erreurs du passé et compromettent leur futur. La prévention, désormais, c’est le prix de l’assurabilité.

Un miroir de gouvernance

L’assurabilité n’est pas une affaire technique, ni un sujet réservé aux courtiers. C’est un miroir de la gouvernance : il révèle la capacité d’une organisation à comprendre ses vulnérabilités, à anticiper les chocs et à gérer ses interdépendances. Les conseils d’administration qui s’en emparent dès maintenant seront mieux préparés à la prochaine secousse — climatique, financière ou géopolitique. Et, surtout, ils éviteront de découvrir trop tard que le vrai coût de l’inaction, c’est l’inassurabilité.