OBNL

FusionsOBNL

Fusion des OBNL : opportunité stratégique ou ultime recours ?

2025-09-16

Gouvernance

Dans le paysage des organismes à but non lucratif (OBNL), une question s’impose de plus en plus : la fusion est-elle un levier pour se transformer et gagner en pertinence, ou bien le dernier geste pour éviter de disparaître ? Loin d’être théorique, ce dilemme traverse aujourd’hui plusieurs secteurs. Des regroupements voient le jour, parfois dans l’urgence, parfois au terme d’une réflexion stratégique approfondie.
Pourquoi cette tendance ? Parce que l’écosystème change. Les financements se fragmentent, les besoins sociaux se diversifient et les attentes des bailleurs se complexifient. Dans ce contexte, il devient essentiel de comprendre quand la fusion constitue une réelle opportunité, et dans quelles conditions elle peut se transformer en piège.
Quand la fusion s’impose à l’agenda

Si les OBNL en arrivent à discuter de fusion, ce n’est jamais par hasard. Plusieurs facteurs ramènent le sujet à la table.
Il y a d’abord les pressions externes : des subventions plus difficiles à obtenir, des fondations plus exigeantes quant à la reddition de comptes, et un environnement économique qui impose de nouvelles contraintes. Mais il y a aussi la recherche d’efficacité. Pourquoi maintenir deux structures administratives parallèles lorsqu’une seule pourrait suffire ? Mutualiser les ressources humaines, financières et technologiques permet d’investir davantage là où ça compte : dans la mission.

À cela s’ajoutent les transitions de leadership : lorsqu’un fondateur se retire ou que la relève tarde à s’installer, s’unir avec un organisme voisin devient une façon d’assurer la continuité. Enfin, certaines organisations choisissent de fusionner non pas pour survivre, mais pour croître : innover, élargir leur bassin de bénéficiaires ou accéder à de nouvelles expertises.

Ainsi, si la fusion peut naître d’une urgence, elle peut aussi être envisagée comme un choix délibéré de transformation.

Les conditions à réunir

Encore faut-il que certaines conditions soient présentes pour éviter que l’élan ne s’essouffle.

La première est l’alignement de mission et de valeurs. Deux organismes qui poursuivent des objectifs trop différents risquent de perdre leur cohérence, et donc leur légitimité.

La seconde est la rigueur de l’analyse. Finances, dettes, contrats, obligations légales : sans cette due diligence, on prend le risque de découvrir trop tard un passif qui fragilise l’ensemble.

Viennent ensuite les capacités opérationnelles. Fusionner deux systèmes informatiques, harmoniser des pratiques RH ou regrouper des équipes n’est jamais simple.

Enfin, la réussite dépend largement de la mobilisation des parties prenantes. Le personnel, les conseils d’administration, les bénévoles et les donateurs doivent comprendre le sens de la démarche et se sentir impliqués.

Ces conditions ne sont pas accessoires : elles constituent la différence entre une fusion vécue comme une chance et une fusion subie comme un mal nécessaire.

Quand la fusion porte fruit

Lorsqu’elles sont réunies, les fusions ne se traduisent pas uniquement par des économies ou des gains d’efficacité. Leur véritable valeur réside dans la capacité d’amplifier la mission.

Un organisme mieux structuré peut rejoindre un plus grand nombre de bénéficiaires, élargir son offre de services ou couvrir de nouveaux territoires. Mais la fusion permet aussi d’avoir un impact plus profond auprès des clients actuels, en offrant un accompagnement plus complet, des services mieux intégrés ou des programmes spécialisés qui auraient été hors de portée pour chaque organisme pris isolément.

… les fusions ne se traduisent pas uniquement par des économies ou des gains d’efficacité. Leur véritable valeur réside dans la capacité d’amplifier la mission.

Cette capacité accrue se traduit également par une meilleure attractivité auprès de l’écosystème. Une organisation plus forte et mieux outillée peut attirer de nouveaux donateurs, bailleurs ou partenaires, séduits par sa crédibilité, son envergure et sa capacité à livrer des résultats tangibles. De même, elle peut conquérir de nouveaux marchés et rejoindre de nouvelles clientèles, en élargissant ses services ou en s’implantant dans de nouveaux territoires.

Ces effets missionnels s’accompagnent de bénéfices plus classiques, mais tout aussi importants : moins de doublons, plus de moyens réinvestis directement dans la mission, une résilience financière accrue grâce à la diversification des revenus, et de nouvelles perspectives professionnelles pour les équipes. La fusion peut en effet ouvrir la porte à des rôles plus diversifiés, à du mentorat, à des parcours de carrière plus stimulants. Enfin, la rencontre de cultures organisationnelles différentes est souvent un terreau fertile pour l’innovation et pour le renforcement des capacités du “back-office” : systèmes technologiques, outils de gestion et infrastructures deviennent plus robustes et mieux adaptés à la croissance.

Ainsi, au-delà des chiffres, c’est bien la promesse d’un impact accru — plus large, plus profond et plus durable — qui donne sens à une fusion. Sans cet horizon, les efforts d’intégration risquent d’apparaître disproportionnés.

Les défis à surmonter

Ces bénéfices n’effacent pas les défis, qui sont nombreux.

Les coûts cachés — juridiques, informatiques, communicationnels — peuvent rapidement s’accumuler. Les chocs culturels sont parfois sous-estimés : deux façons de gouverner, de gérer ou même de célébrer les succès peuvent entrer en conflit.

Le risque identitaire est aussi réel. Pour un organisme très ancré dans sa communauté, perdre son nom ou son mode de fonctionnement peut être vécu comme une forme d’effacement.

Et il y a les réactions des partenaires : donateurs et bailleurs peuvent hésiter à suivre une nouvelle entité dont ils ne reconnaissent pas encore les repères. Enfin, il ne faut pas négliger la charge émotionnelle : fusionner, c’est aussi tourner une page, et cela demande un accompagnement attentif.

À cela s’ajoute la résistance au changement. Les équipes craignent de perdre leur autonomie, certains employés redoutent la disparition de leur poste, et les égos peuvent s’entrechoquer lorsque deux cultures de leadership se rencontrent.

Sur le plan de la gouvernance, fusionner deux conseils d’administration est un exercice particulièrement délicat. Qui gardera son siège ? Quels postes seront abolis ? Comment éviter que les anciens clivages ne se transportent dans la nouvelle entité ? Ces enjeux touchent directement les personnes et, mal anticipés, peuvent créer des tensions durables.

Ces difficultés ne doivent pas décourager, mais elles rappellent que la fusion exige une préparation serrée, une communication constante et un leadership vigilant.

Ce que nous apprend le terrain au Québec

Pour mieux comprendre ce que cela signifie en pratique, deux exemples québécois permettent d’illustrer concrètement ces dynamiques.

Le premier vient du secteur de l’habitation communautaire. Depuis 2022, la Fédération des OSBL d’habitation du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles (FOHBGI) a piloté cinq fusions locales. L’idée n’était pas de sauver des organismes en difficulté, mais bien de consolider l’offre de logements communautaires. Les démarches ont été planifiées avec soin, dans le respect de l’histoire locale et de l’ancrage territorial. Ici, la fusion devient un projet collectif au service de la mission, et non une simple réponse à une crise.

Le second exemple se trouve dans le sport étudiant. En 2024-2025, le Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) a amorcé une restructuration d’ampleur : ses instances régionales, jusque-là des entités incorporées avec leurs propres conseils d’administration, ont voté leur liquidation volontaire. Elles sont désormais transformées en bureaux régionaux intégrés au RSEQ. Cette décision visait à éliminer des redondances, notamment financières, et à renforcer la stabilité organisationnelle tout en maintenant des spécificités régionales.

Ces deux histoires, bien que très différentes, convergent vers une même conclusion : une fusion réussie n’est pas une fuite en avant, mais une démarche alignée sur la mission, appuyée par une gouvernance claire et assumée.

Dernier recours ou outil stratégique ?

Reste la question fondamentale : faut-il attendre la crise pour envisager la fusion ?

Longtemps, elle a été perçue comme un geste de dernier recours. Cette réalité existe encore. Mais de plus en plus d’organisations choisissent d’anticiper. Elles intègrent l’option de fusion dans leur planification, non pas parce qu’elles sont menacées, mais parce qu’elles y voient un moyen de se renforcer.

En réalité, la fusion peut être les deux : un dernier recours lorsque les finances ou la relève ne sont plus au rendez-vous, ou un outil stratégique lorsqu’elle est pensée en amont. Tout dépend de la posture adoptée par le conseil d’administration et la direction.

Des questions à se poser

C’est pourquoi il importe que chaque conseil d’administration se pose certaines questions avant d’entamer un tel processus :

  • Que devons-nous absolument préserver de notre mission et de notre identité ?
  • Quelles synergies réelles entrevoyons-nous avec l’autre organisation ?
  • Quelle gouvernance sera en place après la fusion et comment reflétera-t-elle l’équilibre des forces ?
  • Quels seront les effets pour nos équipes — en termes de motivation, de rôles et de perspectives de carrière ?
  • Quels coûts devons-nous prévoir, et quels bénéfices attendons-nous à court, moyen et long terme ?

Ces questions ne garantissent pas le succès, mais elles permettent de clarifier les intentions et de réduire les angles morts.

Conclusion

La fusion d’OBNL n’est ni un aveu de faiblesse ni une panacée. C’est un outil, qui peut soit consolider un secteur, soit fragiliser des organisations si elle est mal préparée.

Les exemples de la FOHBGI et du RSEQ montrent qu’au Québec, des démarches de fusion ou de restructuration peuvent être menées dans une logique de renforcement collectif. La question n’est donc pas de savoir si la fusion est bonne ou mauvaise, mais dans quelles conditions elle permet de mieux servir la mission, les communautés et les équipes.