Qui ose vous dire que vous vous trompez ?

Qui ose vous dire que vous vous trompez ?

Nisrine Chibli

Qui ose vous dire que vous vous trompez ?

2025-10-15

Stratégie

Dans les couloirs feutrés des entreprises, rares sont ceux qui osent dire à leur supérieur : « Vous faites erreur. » Et pourtant, c’est parfois la seule façon d’éviter le désastre.

Contrarier ou ne pas contrarier : tel est le dilemme auquel se trouvent confrontés les collaborateurs lorsque la hiérarchie prend des décisions aux conséquences fâcheuses, sans s’en rendre compte. D’un côté, le silence risque de nuire aux intérêts de l’entreprise. De l’autre, dire la vérité peut exposer à l’invective.

Qui, alors, est le mieux placé pour exprimer un désaccord sans provoquer de remous?

Avant de répondre à cette question, un détour par l’histoire s’impose. Celle-ci regorge d’exemples édifiants où l’absence de collaborateurs capables de tirer la sonnette d’alarme au bon moment a entraîné des pertes irréparables. Prenons le cas de Nokia, autrefois leader incontesté de la téléphonie mobile dans le monde. Après l’effondrement brutal de cette entreprise finlandaise pourtant florissante et promise à un avenir radieux, plusieurs employés ont reconnu avoir détecté les signaux d’alerte bien avant la chute.

Seulement, aucun n’a osé contester la stratégie menée par une direction trop sûre d’elle. La peur de s’exprimer a créé une véritable chambre d’écho. Et lorsque la réalité a éclaté au grand jour, il était trop tard pour regretter. La fin tragique de cette belle aventure nordique aurait pu être tout autre si quelqu’un avait osé remettre en cause la mauvaise trajectoire du top management.

Une citation de Winston Churchill illustre parfaitement cette situation : « Le courage est ce qu’il faut pour se lever et parler; le courage est aussi ce qu’il faut pour s’asseoir et écouter. ». Entre des collaborateurs tétanisés et une direction cloîtrée dans sa tour d’ivoire, ce sont des milliers de salariés et d’actionnaires qui en ont payé le prix fort.

Les cas similaires à celui de Nokia sont légion à travers le monde, indépendamment des cultures ou des frontières. La peur et la suffisance sont des travers universels. Le carcan bureaucratique et les tabous organisationnels empêchent souvent la mise en place d’une véritable démocratie interne, celle qui encouragerait les collaborateurs à s’exprimer librement et rappellerait au patron que nul ne détient la science infuse.

Ainsi, un manager avisé doit savoir s’entourer de personnes capables de le recadrer quand cela s’avère nécessaire. Pourtant, rares sont les structures qui parviennent à instaurer cet équilibre. Et c’est à ce moment précis qu’intervient le rôle du consultant.

En tant qu’observateur extérieur, le consultant n’a pas à se plier aux politiques internes ni aux enjeux de carrière. Sa mission ne se limite pas à apporter une expertise technique : elle consiste aussi à offrir un regard objectif, lucide et courageux, avec tout le tact que requièrent les situations de tension.

Un bon consultant n’est pas là pour valider les convictions du client; on fait appel à lui parce qu’il sait dire « non ». Il met en lumière les angles morts et les risques que d’autres ne voient pas, ou n’osent pas signaler, notamment lorsqu’il s’agit de décisions stratégiques parfois irréversibles.

Les cabinets de conseil ont la responsabilité éthique de dire toute la vérité au client, tout en respectant ses besoins et ses contraintes.

Les cabinets de conseil ont la responsabilité éthique de dire toute la vérité au client, tout en respectant ses besoins et ses contraintes. Le travail du consultant s’apparente à celui d’un équilibriste : il avance sur une corde raide entre franchise et diplomatie, tout en bâtissant une relation de confiance durable.

Prestataire de service, il est tenu de satisfaire son client sans jamais renier sa conscience professionnelle, qui lui impose la franchise et la rigueur intellectuelle. Dans cet exercice délicat, il doit faire preuve d’une grande finesse pour exposer sa vision tout en gagnant l’adhésion de son interlocuteur.

Les meilleurs consultants savent allier sincérité, lucidité et sensibilité. Leurs recommandations ne sont pas des critiques, mais des conseils bienveillants adressés à un partenaire, et non à un adversaire. Le message n’est pas : « Vous avez tort », mais plutôt : « Voici pourquoi ce choix comporte des risques et voilà comment les anticiper. »

La plupart des échecs majeurs en entreprise ne découlent pas d’un manque de compétence, mais d’hypothèses non vérifiées…

La plupart des échecs majeurs en entreprise ne découlent pas d’un manque de compétence, mais d’hypothèses non vérifiées : projets d’expansion ignorant la culture locale, déploiements technologiques sous-estimant la réaction des utilisateurs, ou fusions ratées à cause d’intégrations mal anticipées.

Dans l’ensemble de ces cas, une voix extérieure capable de dire : « arrêtons, réévaluons, ajustons » aurait pu empêcher d’importantes pertes. Les consultants ne se contentent pas de pointer les erreurs : ils transforment les défis en opportunités, les angles morts en perspectives et les risques en stratégies plus solides.

Les bons dirigeants doivent comprendre qu’une voix dissidente n’est pas synonyme de désobéissance. La réussite ne dépend pas de la capacité à avoir toujours raison, mais de celle à être challengé, à écouter et à s’adapter.

Idéalement, les consultants ne devraient pas être les seuls à dire « non ». Les collaborateurs eux-mêmes devraient pouvoir parler ouvertement et sans crainte. Les consultants, pour leur part, jouent un rôle clé en soutenant cette culture de dialogue : ils ont la distance nécessaire pour voir plus clair, l’expertise pour analyser en profondeur et le mandat pour parler franchement. Et lorsqu’ils le font bien, ils ne se contentent pas d’éviter les erreurs : ils contribuent à rendre l’avenir meilleur.