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Sophie-Emmanuelle Chebin

Affaire Weinstein : 7 questions que les CA devraient se poser

2017-10-19

Gouvernance

Le 8 octobre dernier, Harvey Weinstein, l’un des plus puissants producteurs d’Hollywood, cofondateur de Miramax et de The Weinstein Company, a été limogé par le conseil d’administration de la maison de production qu’il avait cofondée en 2005, sous l’accusation de décennies de harcèlement sexuel et de viols. L’ancien roi d’Hollywood, dont les entreprises ont obtenu plus de 300 nominations et 81 statuettes dorées aux Oscars, est désormais un paria.

Son entreprise, The Weinstein Company, est sous respirateur artificiel. Au moment d’écrire ces lignes, il apparaît clairement que l’entreprise ne survivra pas à la chute de son cofondateur, les dommages réputationnels étant jugés irrémédiables.

Le conseil d’administration maintient qu’il ne savait rien!

Les révélations ont eu l’effet d’une bombe un peu partout sur la planète. Pourtant, selon le Hollywood Reporter, les pratiques du « mogul » hollywoodien étaient le « secret le moins bien gardé » de l’industrie cinématographique. Les agressions et la colère de Harvey Weinstein étaient légendaires et son agressivité reconnue. Malgré cela, son attitude de frondeur attirait les réalisateurs les plus innovants, et ses studios produisaient des succès audacieux dont les grands studios se détournaient. Au fil des ans, il était devenu le Pape du cinéma indépendant. Son influence était telle qu’il pouvait fabriquer ou détruire une carrière au gré de ses humeurs.

Dans la foulée du scandale, cinq des neuf membres du conseil d’administration de la Weinstein Company ont démissionné. Dans le communiqué de presse annonçant le licenciement du puissant producteur, les membres restants du conseil d’administration se sont dits grandement surpris des allégations d’inconduite sexuelle révélées par l’enquête du New York Times. Ils ajoutent : « toute suggestion voulant que le conseil d’administration fût au courant est fausse ».

En 2017, le harcèlement au travail est simplement inacceptable!

En démissionnant, les cinq administrateurs espéraient peut-être préserver leur réputation. Pourtant, selon les observateurs, les membres du conseil – présents et passés – pourraient s’exposer à d’importantes conséquences juridiques. Certains invoquent le bris du devoir de fiduciaire, d’autres l’inaction à l’égard de harcèlement sexuel répété commis par un membre de la haute direction. La presse fait même allusion à la « culture de complicité » qui permettait de camoufler les inconduites du puissant producteur. Les développements à cet égard seront à suivre. Ils influenceront assurément la responsabilité future des administrateurs en pareilles circonstances.

Une situation isolée?

Si seulement l’affaire Weinstein était un cas isolé! Or, au cours des derniers mois, les États-Unis ont été secoués par de multiples scandales à caractère sexuel. Pensons notamment à la démission forcée du PDG d’Uber après les révélations d’une ancienne employée et à celle de l’animateur vedette de Fox News, Bill O’Reilly.

Dans la Silicon Valley, il y a eu aussi les démissions de Dave McClure (500 start-ups), Kris Duggan (BetterWorks Systems), Justin Caldbeck et Jonathan Teo (Binary Capital), toutes survenues à la suite d’allégations de harcèlement sexuel.

Les révélations se sont également multipliées dans les grandes entreprises. Plusieurs personnes ont dénoncé la « zone de prédateurs » qu’est Tesla, le constructeur de véhicules électriques dirigé par Elon Musk.

Le Québec n’est pas en reste. Cette semaine, il a connu son lot de révélations – avec l’affaire Éric Salvail – et son lot de sorties publiques, avec les affaires Gilbert Rozon et Marcel Aubut, de retour dans l’actualité. D’ailleurs, les dernières révélations sur Gilbert Rozon trouvent écho jusqu’en France.

Dans le sillage de l’affaire Weinstein, les mouvements #metoo et #balancetonporc délient les langues et encouragent les victimes de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles à briser le silence et à témoigner. Les révélations exposent de nouvelles inconduites sexuelles qui éclabousseront assurément la réputation d’autres individus et d’autres organisations.

Le ton monte au sommet pour endiguer le harcèlement

Harvey Weinstein commence sa lettre d’excuses en expliquant son comportement par la génération dont il est le produit : « J’ai grandi dans les années 60 et 70, où les règles de comportement au travail étaient différentes. C’était la culture de l’époque ». Cette attitude est arrogante et fait preuve d’une incroyable déresponsabilisation.

En 2017, le harcèlement au travail, c’est purement et simplement inacceptable! Aucune entreprise n’est à l’abri d’un tel phénomène. Aucune entreprise ne peut se permettre de ne pas le gérer.

Le leadership doit venir du sommet pour mettre fin au harcèlement », a dit Chai Feldblum, la commissaire de la Commission d’égalité d’accès à l’emploi des États-Unis.

« Le leadership doit venir du sommet pour mettre fin au harcèlement », a dit Chai Feldblum, la commissaire de la Commission d’égalité d’accès à l’emploi des États-Unis.

Et le sommet, dans nos organisations, c’est le conseil d’administration.

Sept questions que devrait se poser le ca en matière de harcèlement sexuel

À titre de gardien des valeurs de l’organisation, le conseil d’administration doit s’assurer que la culture de l’organisation se caractérise par des pratiques et des comportements éthiques. Il doit veiller à ce que les comportements des membres de la direction soient conformes aux normes les plus rigoureuses. Le conseil doit donner le ton.

Le harcèlement est l’affaire de tous. En vous y attardant dès maintenant, vous n’aurez pas à dire : j’aurais dû agir plus tôt ! »

Il ne doit pas attendre que la crise se présente. Il agit de façon préventive afin d’assurer aux gestionnaires et aux employés un environnement de travail respectueux. Dans cet esprit, voici sept questions que les conseils d’administration devraient se poser afin de prévenir le harcèlement en milieu de travail :

  1. Quelles sont les valeurs véhiculées par l’entreprise? S’agit-il de valeurs visant le respect, le professionnalisme et la diversité? La diversité est-elle gérée harmonieusement au sein de l’organisation? Les gestionnaires adoptent-ils eux-mêmes des comportements exempts de toute forme de harcèlement?
  2. L’entreprise possède-t-elle un code de conduite et/ou une politique pour contrer le harcèlement au travail? Cette politique reconnait-elle les multiples formes que peut prendre le harcèlement?
  3. Adopter une politique n’est cependant pas suffisant. Cette politique est-elle diffusée auprès de tous les employés? Sont-ils sensibilisés à son contenu? Des séances d’information ont-elles lieu afin de sensibiliser les employés à l’égard du harcèlement? Savent-ils à quoi s’en tenir en cas de manquement? Les membres de la direction sont-ils également sensibilisés à cette réalité? Des rappels périodiques sont-ils faits? Les nouveaux employés sont-ils informés de cette politique?
  4. Existe-t-il un mécanisme formel pour porter plainte en cas de harcèlement? Celui-ci est-il connu des employés et de la direction? Est-il confidentiel? Doit-on porter plainte en son nom personnel ou peut-on rapporter une situation observée? Peut-on porter plainte sans peur de représailles? Les plaintes sont-elles traitées équitablement, sérieusement et promptement? L’enquête permet-elle à chacune des parties de présenter sa version des faits?
  5. Si les allégations s’avèrent véridiques, des mesures disciplinaires sont-elles appliquées? Sont-elles modulées en fonction des faits particuliers entourant les événements? Ces sanctions sont-elles équitables? Des mesures de soutien sont-elles offertes aux victimes? Si la plainte est frivole et faite de mauvaise foi, des mesures sont-elles prises à l’égard du plaignant?
  6. L’organisation sonde-t-elle régulièrement les employés quant à leur mobilisation et à leur environnement de travail? Les résultats de ces sondages sont-ils communiqués au conseil d’administration? Les administrateurs ont-ils directement accès à la direction et aux employés afin d’être en mesure de constater personnellement la culture d’entreprise et l’atmosphère qui règnent au sein de l’organisation?
  7. L’organisation s’est-elle dotée d’un cadre robuste de gestion des risques et d’un plan de gestion de crise? Le CA s’est-il doté de lignes directrices en cas d’inconduite d’un gestionnaire ou d’un employé?

Le harcèlement est l’affaire de tous. L’important est d’en parler et de faire passer clairement le message que certains types de comportement ne sont pas acceptés dans votre organisation. Le CA doit donner le ton et ne pas se défiler de ses responsabilités en la matière. En vous y attardant dès maintenant, vous n’aurez pas à dire : j’aurais dû agir plus tôt!

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